DES FAUVES

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Exemplaire numéroté et dédicacé par bibi.

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mercredi 25 mai 2011

SUR LE SOL

version audio de ce texte sur le myspace de mon groupe : http://www.myspace.com/horseseatsugar/music/songs/sur-le-sol-wma-81742624

Voici un homme ayant existé. Bonhomme écrit des notes de suicide depuis une trentaine d’années. Cet après-midi, brûle par le haut au milieu de la rue, avant que deux clochards ne l’éteignent sous leur couverture.
Ne l’éteignent, ne le sortent du coma à coups de poings dans les côtes, ne lui prennent ses pompes et ne lui sauvent la vie. C’est aussi simple que ça.
Chaque jour il empruntait l’autoroute qui traverse la Sologne. Au volant d’un utilitaire, passait son regard sur les bas côtés à la recherche de sangliers anguleux, de chevreuils ou de simples oiseaux bleus. Il se laissait doubler par les familles immatriculées dans le 63, le 15 ou le 34, scrutait l’intérieur des monospaces, goutait les silences fatigués, reniflait la tension nerveuse dans les habitacles, balançait des gestes obscènes aux adolescentes assises à l’arrière, genoux pliés sur le menton, regards déjà pénétrés d’erreurs, regards sauvages se débarrassant des troubles essentiels.
L’index et le majeur en V, il faisait jouer sa langue entre ses doigts et il fermait les yeux en prenant un air fou. Ensuite, il imaginait la réponse qu’il aurait voulu qu’elles lui donnent… La réponse idéale… Il parvenait à peine à se la représenter lui-même… Que voulait-il qu’elles fassent exactement ?... Que pouvaient-elles pour lui les gamines ?… Pas si dupes qu’on pouvait le croire, certes, mais probablement aussi connes et insensibles que papa maman… Incapables de faire preuve de bon coeur elles non plus… Que croyait-il attendre d’elles au juste ? Avant de diriger son esprit à nouveau vers le sud, de le laisser se gorger de paix chaude, il dénouait sa cravate en gémissant….
(Voici un homme ayant existé. Bonhomme écrit des notes de suicide depuis une trentaine d’années. Cet après-midi, brûle par le haut au milieu de la rue, avant que deux clochards ne l’éteignent sous leur couverture.)
Tout en braises… Etendu sur un trottoir à deux pas de chez lui… Attends une seconde il se dit… Attends une seconde… Tu vois tu n’as plus peur de la mort à présent…Un sac plastique vole autour de lui en rebondissant sur le sol de temps à autre… Grand ouvert… Gonflé lumineux… Ça c’est un bon signe il se dit… Et réfléchit aux centaines de raisons pour lesquelles il s’agit d’un bon signe…Et réfléchit aux centaines de raisons pour lesquelles il s’agit d’un bon signe…Pour lesquelles il s’agit d’un bon signe



En général, il préférait sortir de l’autoroute à Salbris et rentrer chez lui par la départementale. Parfois – de plus en plus souvent en réalité –, il faisait de précieuses découvertes sur lui-même tout en suivant une semi-remorque ou juste en respirant la moisissure sucrée des forêts. Il avait ainsi souvent acquis la conviction qu’il allait devoir démissionner de son emploi au plus vite s’il s’agissait de sauver sa peau. Une dizaine de scenarii se bousculaient dans sa tête quant à ce qu’il allait pouvoir faire après, combien d’argent serait nécessaire, combien de mois il pourrait tenir s’il déménageait pour un appartement plus petit, quelle genre de femme accepterait de subvenir à ses besoins et pour combien de temps. Il avait pensé à la mort de ses parents aussi, avait calculé le montant de l’héritage sans rejeter l’idée, la question de la vie ou de la mort lui paraissant alors mesquine comparée à la perspective de quelques années de bonheur. Sa lettre de démission n’étant toujours pas écrite, il se laissait néanmoins grignoter comme une vieille couverture en laine, jour après jour, et tout était une question d’humeur.
La plupart du temps, il se sentait bien sur la départementale. D’abord de mieux en mieux au fur et à mesure des kilomètres sur l’autoroute, et puis parfaitement bien sur la départementale. Il enclenchait un disque de rock dans le lecteur, connaissait les paroles, chantait dans le rythme et à la note juste. Ouvrait la fenêtre en arrivant dans sa ville. Laissait pendre son bracelet, son avant-bras, espérant qu’une vieille connaissance le repère, comprenne à quel point il était bien, tournait plusieurs fois autour des ronds-points pour qu’on sache qu’il était enfin lui-même, plus libre et détendu que la moyenne des hommes.


Entend des pas qui approchent….Aucune précipitation dans le rythme des talons…Le crissement du sac en nylon quand il racle le sol, le clic cloc des talons plastique..Une femme du coin…Probablement quelqu’un qu’il connait…Entend les aboiements d’un petit chien. Un yorkshire monté sur talons ? Il sourit, ferme les yeux. Attend… La douleur a quitté ses côtes. Elle mord dans son coeur maintenant. Elle mord dans son coeur maintenant. Juste à l’endroit où bat son cœur.







Son manque de courage était certainement imputable à son éducation mais qu’est-ce que cela pouvait bien lui foutre ? Il avait attendu plus de la moitié d’une vie pour se rendre compte des quelques perspectives qui lui étaient offertes, comprendre pourquoi ne lui était d’aucun réconfort. En vérité, il aurait été incapable de toucher une seule de ces adolescentes sur l’autoroute, il n’avait jamais vraiment pensé à stopper son utilitaire au milieu des deux voies, cartonner une douzaine de monospaces en retour de vacances, il n’avait pas démissionné - n’en avait parlé qu’une seule fois à un collègue, ivre au téléphone-,  il n’avait pas capitulé, ne voulait pas renoncer à tout, ne voulait pas fuir, ne voulait pas changer de nom, ne voulait pas tuer, ne voulait pas voler, ne voulait pas violer, ne voulait pas devenir fou. Alors que voulait-il au juste ?
(Voici un homme ayant existé. Bonhomme pense sérieusement au suicide depuis une trentaine d’années. Cet après-midi, brûle par le haut au milieu de la rue, avant que deux clochards ne l’éteignent sous leur couverture.
N’avait pas capitulé, ne voulait pas renoncer à tout, ne voulait pas fuir, ne voulait pas changer de nom, ne voulait pas tuer, ne voulait pas violer, ne voulait pas devenir fou.)

Elle s’approche à petits pas, toujours réguliers, la belle salope…  Il entend aussi les halètements du clébard. Aucun son de panique. Aucune bousculade. Aucun jappement de stupeur… Le sac en nylon s’est accroché à un arbre et crevé contre une branche. Et lui, n’est-il pas suffisamment gros avec ses cent quinze kilos étendus sur le trottoir ? Elle s’approche. La belle vieille tronche de salope qu’il attendait. Il la voit de biais, par le dessous, il l’aperçoit grâce à un petit espace sous son bras. C’est exactement la vielle peau usée mais luisante, les cheveux frisés qu’il espérait.  S’il s’en sort, il sait qu’il va démissionner, alors il essaie un mouvement pour plonger son regard dans le sien. Son regard douloureux de vieille salope. Il va bel et bien leur crier d’aller se faire foutre. Je ne sais pas comment vous faites pour tenir le coup il va leur dire, mais moi je n’en peux plus. Pas à ce rythme. Pas de cette façon. Pas dans ce genre d’hypocrisie généralisée. Pas dans ce monde-là. Il voit le pied de la vieille qui amorce une foulée et se pose à travers lui, tout droit à travers lui sur le trottoir, amorce une autre foulée juste à l’endroit où devrait battre son cœur, le vieux tibia abimé qui émerge de son thorax, le pied chancelant qui s’éloigne, juste à l’endroit où devrait battre son coeur, le pied qui s’éloigne encore un peu, puis disparait avec le chien dans un bruit de talons plastique. Juste à l’endroit où devrait battre son cœur.

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