DES FAUVES

Commande possible de mon premier roman DES FAUVES édité chez Kirographaires.

Exemplaire numéroté et dédicacé par bibi.

Cliquez ci-dessous :


http://edkiro.fr/des-fauves.html

samedi 21 mai 2011

David Wojnarowicz, Hervé Guibert, et plus laborieusement moi à l'approche des fêtes de Noël

21 décembre
Je me trouve chez mon frère pour les fêtes et je suis allongé dans la grande baignoire au milieu de la salle de bain, il est 11h 30 du matin, la baignoire dont l'émail n'est pas fêlé. J’ai horreur de prendre ma douche assis, cela me fait croire que je suis bien plus vieux que mon âge, j’ai quelques pansements sur les bras les jambes et aux coudes.

La vision m’apparaît : 501 corps allongés dans une salle des fêtes, l’un d’eux tente de s’enfuir, il est fusillé sans sommation, la balle rebondit contre les fenêtres, contre le ciel et se plante dans la neige dehors, 500 corps allongés et dévorés par les fourmis. Elles sucent d’abord à la surface, ces gigantesques fourmis, d’abord à la surface et puis dans le flou de ma vision les insectes parviennent à pénétrer l’organisme, dérèglent le sang comme un sida, avalent les cellules et recrachent d’autres cellules plus meurtrières, c’est un jeu vidéo, un Pacman, un corps se redresse comme un fantôme, attrape une serviette en coton épais, se sèche, lui aussi est fusillé sans pitié, l'echo de la balle est un feulement glacé, il retombe dans la baignoire, dans un choc, il est couché sur le côté sa langue pend, le reste de sa bouche est ficelé par une sorte de lacet de chaussure, il ne peut pas crier alors il ne crie pas, il est l'un des 499 et cette notion le rassure (il voit un grand immeuble prendre feu), l’empêche d’avoir cette envie de hurler qui pourrait rendre sa mort encore plus douloureuse et encore plus douloureuse.


22 décembre

Aujourd’hui je me rends bien compte que les images écrites hier dans la précipitation n’ont aucune valeur, humainement parlant, aucune vocation à se transmettre. Elles sont là pour alimenter ce journal, noircir le tableau de mes vacances, elles font palpiter mon ventre, elles endiguent ma faim, elles me fascinent et ne me terrorisent pas. Elles ressemblent à ces grappes de jeunes gens qui sautent dans les bus au gaz naturel en vérifiant leur coiffure. Ici, dans la ville où je me trouve, la mode est aux cheveux coupés au bol avec effet de balayage pour les garçons, bonnets et écharpes en laine assortis pour les filles. La mode est au fuyant.

Ton visage était enfoui dans les recoins obscurs de la maille, tu  avais des yeux extraordinaires, pâles et voilés, aussi tristes qu’avant, ce qui frappait c’était ta non appartenance au monde malgré tout, les formes de ta pitié, tes sourires d’approche, ton naturel, tes gestes qui rejetaient la peur en général et la côtoyaient sans grimace, sans ce dégoût qui est le propre de l’homme lourd, l’homme accablé par sa force de gravité, tout le monde faisait le malin et tu en étais désolée sans le savoir…
Les images d’hier, je m’en aperçois aujourd’hui, sont des souvenirs. Un lit de galets polis léchés par la mer dont on fait des lampes que l’on expose dans les magasins de décoration d’intérieur. Bizarrement, sans passion, on braque une lumière sur ces pierres rondes du souvenir. C’est pour cela que j’ai eu l’impression de t’apercevoir hier dans le numéro 3 en direction du centre-ville, parmi les grappes de jeunes gens qui filaient en portant des sacs en carton recyclables, évoquaient le réveillon de la Saint-Sylvestre et se plaignaient de la surveillance de leurs parents, disaient qu’ils suffoquaient, fomentaient de touchants complots, gémissaient, riaient en dépit de tout. Pourquoi les souvenirs sont-ils plus beaux que la réalité ? A demandé ma fille le 14 décembre. Je lui repassai notre film de l’été dernier en Corse et ne répondis pas.

L’homme qui se coud la bouche avec un lacet de chaussure, c’est David Wojnarowicz dans un clip trouvé sur youtube. Il scande un poème qui raconte le massacre d’un pédé à la sortie d’une salle de cinéma, il prend un fort accent new-yorkais, les aigus semblent sortir du nez tandis que les graves profonds se noient dans la gorge, fait-il tout cela exprès ? Quelle est son ambition ? Je voudrais dire : Quel est son message ? Et écrire « message » en italiques tant le mot me répugne… Je pense que je ne suis pas le seul… Qu’est-ce qui l’a poussé sur cette scène ornée d’un fin rideau de velours rouge, à gueuler tout seul dans son micro un texte que personne n’a trop envie d’entendre ? En surimpression, il y a un type qui porte les stigmates des coups, petit à petit l’homme se couvre de bandages et sa tête est propulsée en arrière, le cou à la perpendiculaire du tronc. Plus loin, David W se coud la bouche avec un lacet de chaussures, coud un morceau de pain, une pièce de 25 cents tombe dans une tasse à café remplie de sang qui gicle et éclabousse le plateau d’une table en formica. Des insectes grossièrement surdimensionnés rampent sur le corps d’un homme torse nu, il a gardé son jean Levi’s, le pédé-type, son corps est musclé, étendue dans une position de douce langueur, on ne voit pas son regard mais on le devine malade, son torse et ses bras, on dirait du velours. Il se dégage un sentiment de puissance acide.

Je me rappelle aussi avoir pompé de nombreuses tournures de phrases à Hervé Guibert. « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » est son plus beau livre et je n’ai aucune honte à le plagier. Tout juste un peu d’amertume à ne pas être aussi beau que l’auteur en couverture. Voilà, en disant cela je n’ai plus l’impression de tricher. Hier, je promenais le pommeau de douche sur mes cuisses et mes genoux quand la vision des 501 corps étendus m’est venue. Ils n’étaient pas morts et je l’ai compris tout de suite. Ils s’ennuyaient, ils n’étaient pas là pour protester, ils n’étaient pas pris en otage par une armée slave ou prisonniers d’une tempête de glace, ils s’ennuyaient voilà tout. Alors pourquoi les coups de fusil dès qu’ils tentaient de s’enfuir ? Pourquoi toutes ces fourmis qui leur rentraient par le cul et la gorge, les étouffaient mais ne les tuaient pas ?
J’ai horreur de mon corps, c’est un fait, j’exècre ma vie, la pesante banalité de mon quotidien, je ne sais pas séduire, ce matin j’ai enculé ma femme en ouvrant les yeux, à 5h17, j’ai ressenti un violent mépris à son égard en le faisant, pardonne-moi, ensuite je me suis assis  à côté d’un gigantesque sapin de noël pour écrire, il faisait tiède… A l’intérieur de la maison les meubles sont patinés, les murs sont tapissés de livres de toutes sortes, la décoration est du meilleur goût et m’incite aux souvenirs, je pense à toi mais ne dirai pas ton nom car je sais que tu me surveilles même si tu n’es pas réelle, au fond, je m’en veux d’avoir choisi de commencer ce journal. Pardonne-moi.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire