DES FAUVES

Commande possible de mon premier roman DES FAUVES édité chez Kirographaires.

Exemplaire numéroté et dédicacé par bibi.

Cliquez ci-dessous :


http://edkiro.fr/des-fauves.html

mercredi 11 mai 2011

Les chevaux linéaires du temps

Les chevaux linéaires du temps sera probablement le titre de mon premier et dernier roman inachevé.
En attendant, je vais écrire un poème qui racontera comment je vais bientôt mourir.

Pile ce sera leucémie : Couleur Jaune, l’héroïne de mon roman, est une élève de terminale déscolarisée en cours d’année à la suite d’examens sanguins catastrophiques. La voici en chambre stérile. Quand les amis et la famille viennent lui rendre visite ils chaussent des patins et enfilent un masque. Elle ne les reconnaît plus.
Face ce sera Couleur Grise, le sida qui s’insinue dans toutes les conversations au lycée depuis que deux garçons ont été testés positifs fin janvier. L’action se passe au milieu des bourrasques de neige, tout le monde se gèle les pieds et glisse dans les escaliers, tout le monde déambule dans les rues les poings au fond des poches, le front pâle d’inquiétude.

Les chevaux linéaires du temps sera sûrement le titre de mon premier et dernier roman inachevé.

Hier ma femme s'est accrochée à mon bras après qu'on a fait l'amour :
- Alors... et ces idées moroses, t'en es où ?
- Je contrôle…
- En tous cas tu dors mieux … Comment ça se fait ?
- Peut-être parce qu’on baise plus. Et mieux.
- Oui… Ou alors ce sont les médicaments qu’ils te donnent…

J’aurais voulu lui parler des chevaux linéaires du temps, mince à chaque fois que je ferme les yeux j’ai cette image de ces deux chevaux marron et ventrus qui courent sans élégance vers moi en chassant les mouches avec leur queue. Sur le bureau l’ordinateur marquait 2h47. Il était 23h00 en réalité. A l’étage notre fille dormait, chaud-froid sur sa douleur future, ses lèvres naufragées, ses yeux gais.


L’ordinateur indiquait 2h47. Il était 23h00 en réalité.
A l’hôpital ils promenaient Couleur Jaune dans un chariot de réanimation métallique sur lequel ils avaient suspendu une cloche antibactérienne. Les couloirs se vidaient à cette heure-ci. Des silhouettes gonflaient et se dégonflaient dans le prisme des lumières aux néons. Elles s’approchèrent de Couleur Jaune et puis reculèrent d’un bond en apercevant sa figure tordue de leucémique.

Nous on avait déjà parcouru quelques bons milliers de kilomètres dans les bois sans orée de notre existence conforme.
Ma femme s’accrocha à mon bras :
-Tu crois que ça va aller ?
-Oui, t’en fais pas…
-Tout est sous contrôle, t’es sûr ?
-Bon je ne te cache pas qu’il risque d’y avoir quelques ajustements… Quelques mesures à prendre… Mais somme toute…
-Oui, et puis tu as toujours tes médicaments…
-C’est vrai, tu as raison… Je pourrai forcer un peu la dose si besoin.

Les bourrasques de neige redoublaient de vigueur, giflaient les buissons et tordaient les poteaux télégraphiques.

Les deux lycéens réagissaient mal à la trithérapie. Tim, le plus jeune, s'était battu avec son père dans l’après-midi pour une histoire de Corn-flakes renversés sur le carrelage. Il prenait son petit-déjeuner à 15h, c’est ce qui avait mis Poppy hors de lui.

En fermant les yeux j’ai vu les deux chevaux marron surgir à flanc de colline et courir vers moi, le buste légèrement décalé par rapport aux jambes, leurs sabots crissant sur le givre. J’ai ramassé deux touffes d’herbe gelée et j'ai gambergé.



Elle a passé ses doigts dans mes cheveux, passé ses doigts sur les tendons de ma nuque.
Elle a passé ses doigts le long de mes vertèbres en massant plus vigoureusement.
J’avais les yeux grands ouverts. Je ne me rappelle pas à quoi je pensais.

Depuis une semaine, mon système digestif ne traitait presque plus les aliments. Je restais une bonne partie de mes journées aux chiottes. La nourriture s’expulsait intacte sur l’émail au milieu d’un liquide blanc, quasiment transparent, qui ressemblait à de la bave.
Pendant ce temps elle préparait les piluliers en écoutant de la musique. Elle regardait les flacons à la lumière pour s’assurer du dosage. Elle alignait les petites gélules sur la table de la cuisine, découpait ce qu’il y avait  à découper, regroupait les pilules par demi-journée et répartissait le tout dans un boîtier bleu qu’elle avait soigneusement rincé auparavant.

J’ai chié pendant que je dormais. A mon réveil j’ai dû me mettre à hurler. Elle n’a pu réprimer un sursaut d’effroi en entrant dans la chambre. Les draps étaient maculés de cercles de merde blanche et de sang mélangés. J’ai vu son mouvement de recul. Et puis son visage s’est adouci, elle a passé les doigts le long de mon dos en appuyant sur les vertèbres, ma rotule a craqué, elle m’a suggéré de me rendormir. Je lui ai demandé si c’était normal, tout ce sang, elle m’a répondu que oui, certainement, vu que mon corps se défendait moins bien qu’avant.

En refermant les yeux je l’ai vu, elle, auprès des deux chevaux marron et ventrus. Ils s’étaient installés dans une clairière au milieu des fougères. Elle leur flattait le museau et ils la regardaient tristement. On entendait la neige arriver, on pouvait la sentir dans le vent. Elle eut un frisson qui affola les chevaux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire