DES FAUVES

Commande possible de mon premier roman DES FAUVES édité chez Kirographaires.

Exemplaire numéroté et dédicacé par bibi.

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samedi 20 août 2011

ECriRe AussI vItE que Je MArCHE, ECriRe AussI vItE que Je JOUIS

Ce qu’il y a d’inox et de puissamment blanc dans la lumière se débat avec l’obscurité des milieux d’après-midi  à cette saison, la glace piquante qui nous tombe sur la figure est merveilleuse tant qu’elle s’épuise en  l’air - Après, elle salit tout en explosant sur les trottoirs. Je ne me suis toujours pas installé en Alaska, ma fille a besoin de moi, j’ai compris ça, c’est tout à fait clair pour moi, je suis ici, je suis fragile mais je reste, les endroits n’ont pas la moindre importance, j’ai compris ça aussi, alors je vais m’en tenir au pire : ici. Maintenant, écrire aussi vite que je marche est un défi que je lance à la sphère poétique de ma raison (je suis sain d’esprit). J’aurais pu dire : Ecrire aussi vite que je jouis, écrire aussi vite que je parle, écrire aussi vite que je souffre, écrire aussi vite que je voudrais mourir, etc, mais voilà, je marche vite, je marche vite car je suis déformé par l’habitude et par l’envie d’arriver à destination, par les horaires de rendez-vous, par mes palpitations, par le désir inexplicable d’être ailleurs, par la dissociation du réel et de mes pulsions, par mon corps, par la somme de ces choses qui font justement que je marche vite. Très très vite au bout du compte. J’avais pensé aussi  : Ecrire aussi vite que je ne fais rien de mes journées, et puis je me suis dit : trop confus... Nous sommes jeudi et il est 15h, je viens de déposer ma voiture chez le concessionnaire, il m’a dit que le véhicule serait prêt à la fermeture du magasin et que ça allait me couter 204 EUROS toutes taxes comprises, c’est ce qu’il m’a dit mot pour mot alors je suis confiant, j’ai toute confiance en ce type qui sourit comme sourient les jeunes, le genre de sourire qui passera pour de la séduction chez les damnés de la vieille école… 204 euros bordel de Dieu... Je ris et oublie vite que je suis vexé comme un pou : 204 euros, ces types sont en train de me la mettre bien profonde. Je vais marcher, je vais marcher jusqu’à la fermeture du magasin, c’est une zone commerciale, les avenues sont larges comme des fleuves africains, il neigeote, je vais marcher et je vais écrire aussi vite que je marche. « Celui qui n’a pas souffert n’est pas un être. Tout juste un individu ». Je me demande à partir de quel moment on peut parler de souffrance sans passer pour une pédale ou un affreux pessimiste de plus, où se situe le grand col qui nous fait basculer du normal au morbide et comment on sait qu’on l’a franchi ? Est-ce un endroit glauque et brumeux où saignent des fantômes hermaphrodites, une seringue plantée dans chaque bras ? Est-ce juste un coin un peu tristounet mélancolique et boisé ? « Celui qui n’a pas souffert n’est pas un être. Tout juste un individu ». Je décide que j’ai souffert. Je parcours un premier kilomètre sans croiser de visage, les âmes ne sont pas piétonnes dans les parages, elles roulent en berline, les silhouettes sont teintées, fumées, déformées par les pare-brises, on peut les comprendre, c’est une zone passante, tu n’es pas censé te retrouver à pied par ici, il n’y a pas de raison, aucun passage piéton n’a été prévu à cet effet, tout juste un trottoir dérisoire sur le bas côté, une bande d’un mètre recouverte de givre glacé.  Les carrefours se succèdent, des panneaux publicitaires gigotent façon persiennes à l’intérieur de rectangles en fer, je suis dans la circulation de milieu d’après-midi, rien de grave, rien d’effrayant, je fais un pas de côté quand une voiture me klaxonne, le flux est irrégulier, parfois j’entends clairement les moteurs, parfois ils se confondent, je me dis que leur bruit est moussu dans l’ensemble, je ne sais pas trop ce que ça signifie. 204 Euros, fucking hell, je souris. Commence à marmonner : « Well I once had a car, lost it in a divorce, the judge was a woman, of course…” Je suis fier de connaître cette chanson et de m’associer à l’ironie doucereuse de la rime. Dans un monospace, un visage d’ombre me croise et se marre, je fixe, le sourire se tord au loin, semble gêné... Voilà sûrement quelqu’un qui me connaît et préfèrerait que ce ne soit pas le cas, je change de point de vue... Si j’étais un de mes collègues, une personne que j’ai côtoyée de près, quelqu’un qui éprouverait de l’affection pour moi, comment je réagirais à sa place ? J’ai l’air totalement possédé sous la neige, je ferme les yeux et je fais partie de la circulation, je ne me rends plus compte que je marche, et pourtant j’accélère, toujours, je suis presque à fond, à la limite de la course, il n’y a rien à faire pour un piéton par ici, c’est juste un coin de passage, un coin de bruit, un coin d’anonymat , alors comment je réagirais moi dans ces conditions ? Je me dis que placer une caméra sur le bord de l’avenue aurait été bien aussi, iris électronique qui aurait capté froidement les mouvements du métal, des bleu-marines, des rouges-cerises, des jaunes-Sahara contre l’air giflé par les flocons minuscules, et puis la route en contrepoint, les bandes signalétiques, les rails de sécurité, le temps qui file, le dérisoire, les courses de Noël, la solitude d’un vieil instituteur, le passage d’une famille entière (les gosses auraient été dispensés d’école pour raisons politiques), la fin du monde, tout ça en un seul film d’ ¼ d’heure. De temps en temps, le moteur diesel d’un temps révolu, un 2 litres increvable, un truc de tracteur, le ronronnement d’une société qui nous semblait meilleure, moins flippée, moins vicieuse, moins engoncée. Je file, 204 euros coincés dans la gorge, je suis moderne, drôlement fier d’être moderne. Mon film, s’il se faisait, serait un pur acte de génie contemporain, je choisirais un endroit avec une ferme abandonnée en arrière-plan, le message serait clair : le drapeau de la modernité est aux couleurs du métal de nos voitures, regardez un peu les filaments lumineux que tracent nos portières dans ce décor sinistre, ce sont nos trajectoires qui brillent, nous éclaboussons vos fermettes et vos asphaltes défoncés de notre lumière, nos voitures sont moins stupides que vos hommes, ou quelque-chose dans ce goût-là. Je marche, j'écris aussi vite que je marche, derrière chaque moteur qui passe, je perçois le rythme des choses. Ce soir, je vais régler les 204 EUROS en chèque, c’est la seule chose à faire et ce n’est pas un problème, seuls les riches font du fric un problème, les autres en font une souffrance, une hantise, un monstre, un zona, un sida, mais ils se débrouillent pour garder la tête haute. Je croise un van de police, je souris en envoyant autant de lumière que possible à mes yeux. Voilà, je suis arrivé au carrefour que j’attendais, le van de police passe devant moi comme un gros jouet bien rond, tout ce qui me remplit de dégoût est en train de se produire et je serais le personnage principal de cette horreur ? En vérité je vous le dis mes frères, jamais une vie ne m’a semblé pouvoir être le berceau d’autant de désespoir, et quand il plaît au Ciel de vous mettre dans une situation pareille, vous pouvez bien marcher tout ce que vous voulez au soleil, sous une pluie battante ou dans le pire des blizzards, la plus enchanteresse des femmes vous apparaîtra toujours fade et la plus lumineuse des routes aura toujours l’aspect vorace d’un cul de sac. Enfin, ceci n’est pas totalement vrai, peu importe, et toujours est-il que si je voulais passer pour quelqu’un de bien à vos yeux, lecteurs, si ce que je cherchais dans mon action était un peu de cohérence et d’idéal, eh bien je marcherais vers ce van de police, mâchoire tendue, regard sec et froid et je ferais mourir ces petits flics de peur en leur agitant mon désespoir social sous le nez, et ma détresse aurait la forme d’un Browning 9 mms ou quelque-chose du genre, et ils devraient alors descendre de leur piédestal comme des Dieux bafoués et me ficeler les poignets et me péter la rate à coups de matraque, et tout cela pour quoi ? Parce que j’ai raison et qu’ils ont tort, parce que ce monde a été crée à l’image de l’enfer et que seule la violence donne une petite chance aux hommes de se sentir vivants, vous voyez ce que je veux dire, la violence amoureuse ? La violence iconoclaste, la violence suiveuse, la violence de l’absurde, la violence commerciale, la violence intrusive, la violence la violence la violence, laideur de la violence noire. A ma droite la route serpente, rien d’anormal, c’est une avenue au nom d’un militaire gradé qui te mène vers le grand péché commercial : Carrefour, Thiriet, Toys’r’us, au-dessus une passerelle rouillée te conduisait jadis vers les marais les vergers les potagers et un grand lac gelé où des types roupillaient dans des barques longues comme l’amour éternel, désormais si tu prends sur ta gauche à cet endroit tu t’enfonces dans le bourbier pétrolifère pré-apocalyptique ou tu te fais mordre par un chien errant galeux et affamé avant d’apercevoir le premier pommier couvert de cendre, de prunes véreuses et de grappes de raisin bleues. La neige redouble tandis que se multiplient des images bibliques dans mon cerveau, mitoses de cellules chrétiennes accrochées à leur foi comme un indien à son arc tandis que la vérité, tu peux bien l’appeler réalité fantasme illusion représentation prisme, est immonde à regarder. Je vais tout droit, c’est là que tout commence, je marche quinze kilomètres, de ce petit voyage je ne raconterai que trop peu en disant que j’ai croisé des magasins des lunes et des fossés. Et aussi quantités de bouches ouvertes derrière les pare-brises, nuques chapeaux doigts et regards tendus, cheveux irradiés dans l’électricité statique, pauvres pauvres gens si bien protégés du blizzard dehors et qui pétaradent en petits grêlons mortifères à l’intérieur, mais c’est bien eux qui ont raison,  je ferais mieux de me taire au lieu d’imiter qui ? Nous verrons au moment de mourir, c’est parfait ainsi, faisons les comptes, mettons tout à plat au bout du chemin.  Arrivé près de l’autoroute, je me retourne et je lève le pouce car il est 18h, je suis pris par une jeune femme dont je tombe amoureux, elle s’appelle Elise, tout ce que j’aperçois d’elle en dépit de la fumée de sa cigarette et de ses mots, je l’aime. Nous roulons les quinze kilomètres en échangeant à propos de nos ressentiments, elle me dit qu’elle aimait mieux la vie quand elle était gamine, je prétends que je suis moderne, indifférent à tout et solitaire, je pense qu’elle ne me croit pas, nous rions de bon cœur, il fait chaud dans sa 206, elle enclenche la musique au moment où j’allais lui révéler quelque-chose de radieux sur nous deux et notre présence magique dans cette voiture, sous ce déluge de neige impitoyable, elle ne règle pas le son très fort, elle est contradictoire, elle se met à déblatérer sur ses études, ses copines et son avenir commercial en ce monde, je l’écoute d’une oreille, et encore, je ne suis plus très sûr d’être le type qu’il lui faut, je lui conseille toutefois une école de marketing que je connais bien en Indre et Loire, quelque-chose de brutal et enrichissant, je me dis que c’est ce qu’il lui faut à Elise, le genre de boîte à pognon dont elle rêve, et dehors il neige encore, c’est très doux à regarder maintenant, quand Elise me laisse devant le concessionnaire et que je saute de la voiture après avoir posé un baiser sur sa joue en clignant des yeux, que je signe un chèque frauduleux et monte dans ma Clio direction l’autoroute.  

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