Les sentiments sont quelque chose de fuyant.
J'en fais la remarque
au Docteur Poisson. Il me dit que oui, faut s'accrocher ferme quand on en tient
un au bout de sa ligne.
Il me conseille aussi de mettre de l'eau dans mon vin. En
tant qu'alcoolique abstinent je souris et lui aussi. Poisson serait-il con ?
Non, il aime les calembours. Il me jauge avec son ricanement
sous cape et ses manières de vieux lacanien puant des doigts.
Après je lui parle de mes bulles cérébrales et là ça ne rigole plus franchement .
Il me demande ce que je vois dans ces bulles.
Rien, je réponds. Rien, la plupart du temps.
Des meurtres parfois.
Des meurtres ?
Des scènes de meurtre avec surtout la victime qui court
encore, un opinel planté dans son dos, comme un canard sans tête.
Il me demande si ça se passe dehors, dedans, dans un couloir
?
Non, pas dans un couloir. Je ne sais pas, je vois surtout la victime.
Homme, femme ? Enfant ?
Les trois. Mais ils sont tellement petits dans les bulles
que ce n'est pas facile à dire.
Qui aimeriez-vous suriner de la sorte ? Poisson adopte
parfois ce type de vocabulaire, je ne sais pas pourquoi.
Aucune idée, je
lance, stupéfait. Vraiment aucune idée.
Je donne cinquante euros et traverse la place en prenant
soin de me tenir loin des voitures, des hommes des femmes des enfants et de
leurs chiens.
Un vieux boucher regarde au-dessus de ma tête. Il a son
tablier ensanglanté, son uniforme à petits carreaux bleus, un couteau dans la
main qu'il tient à l'horizontal, une tête de cuvette de chiottes.
Que voit-il dans mes bulles, ce vieux boucher ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire